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La concurrence comme "levier de la croissance" dans le projet de loi de modernisation de l'économie (Juin 2008)

La concurrence comme "levier de la croissance" dans le projet de loi de modernisation de l'économie (Juin 2008)

Le projet de loi de modernisation de l’économie (dit projet « LME »), adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 17 juin dernier, est la dernière pierre apportée à l’édifice législatif conçu par le gouvernement pour libérer la croissance française. Inspiré des travaux respectifs des commissions Attali et Hagelsteen, le projet LME met particulièrement l’accent sur la concurrence, envisagée comme le « nouveau levier de la croissance » et à laquelle est consacré le titre II du projet de loi. Relancer la concurrence passe notamment par l’assouplissement des contraintes pesant sur les acteurs économiques (fournisseurs et distributeurs) de manière à permettre aux prix de jouer plus librement et de favoriser ainsi le pouvoir d’achat des consommateurs.

  • La négociabilité libre – mais loyale – des conditions générales de vente

Le projet LME est, en cela, annoncé comme « la dernière étape de la réforme du cadre juridique des relations commerciales »  entreprise depuis 2005. Il suit de peu la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs ayant, entre autres, modifié substantiellement la définition du Seuil de Revente à Perte (« SRP »).

Pour mémoire, le SRP se définit comme le seuil en deçà duquel les distributeurs ne peuvent baisser leur prix de revente aux consommateurs. Jusqu’à récemment, ce seuil conduisait à une rigidité artificielle des prix dans la mesure où il ne permettait pas de déduire du prix d’achat des produits les budgets de coopération commerciale (« les marges arrière ») octroyés par les fournisseurs aux distributeurs pour mettre en valeur leurs produits.  Depuis la loi de janvier 2008 et l’instauration du « triple net », le SRP est abaissé par la réintégration des marges arrière dans le prix de revente aux consommateurs. Là où auparavant le SRP équivalait au prix d’achat sur facture (par exemple de 100), sans prendre en compte les marges-arrière (30), il est aujourd’hui diminué de ce montant (70). Le prix minimum de revente autorisé est donc aujourd’hui de 70 au lieu de 100.  

C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet LME, lequel permet de porter directement sur la facture, au titre de réductions de prix, les rémunérations perçues par les distributeurs en contrepartie des services distincts rendus aux fournisseurs (article L.441-7 du Code de commerce modifié) ; le projet LME vient donc renforcer le basculement des marges arrière en marges avant.

  • Les apports de la LME en faveur d’une libre négociabilité

Les fournisseurs se voient offrir la possibilité d’une plus grande différenciation tarifaire selon les types de clients, qu’ils soient acheteurs de produits ou demandeurs de prestation de services (article L.441-6 modifié). Ainsi, tout fournisseur peut librement  classer ses clients en catégories (définies selon des critères objectifs) et adopter, ce faisant, des conditions générales catégorielles qu’il n’aura l’obligation de communiquer qu’aux clients relevant de la catégorie concernée sur leur demande expresse. En outre, le fournisseur peut désormais adopter des conditions de vente particulières, réservées à tel ou tel client en fonction de ses demandes spécifiques.

         Le projet LME renforce cette libre négociabilité, en supprimant corrélativement l’interdiction de discrimination tarifaire prévue à l’article L.442-6 I 1° lequel permettait d’engager la responsabilité de quiconque pratiquant, à l’égard d’un partenaire économique ou obtenant de lui « des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d’achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire un désavantage ou un avantage dans la concurrence ».

  • Le maintien  de dispositions en faveur de pratiques commerciales loyales
  • les pratiques commerciales abusives restent sanctionnées

La libre négociabilité reste encadrée : si la référence à « l’abus de la relation de dépendance » et de « puissance d’achat ou de vente » (prévu à l’article L.442-6 I 2°b)) est supprimée, est maintenue, en d’autres termes, l’infraction consistant « à soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (nouvel article L.442-6 I-2°).

De même, la libéralisation des relations commerciales s’accompagne d’un renforcement des sanctions afin de protéger les acteurs les plus vulnérables. Le montant de l’amende civile encourue en cas de pratiques commerciales abusives ou discriminatoires, bien que toujours limitée à 2 millions d’euros maximum, « peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées » (article L.442-6 II-7° complété). La juridiction saisie du litige pourra également ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou son insertion dans le rapport de gestion voire même ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte. La juridiction pourra également saisir pour avis la Commission d’examen des pratiques commerciales (article L.442-6 III complété).

  • les délais de paiement sont raccourcis et les pénalités de retard alourdies

Les fournisseurs, fragilisés économiquement par les règlements tardifs de leurs clients, pourront compter sur le raccourcissement des délais de paiement instauré par le projet LME. En effet, le délai de règlement convenu entre les parties ne pourra excéder, en tout état de cause 45 jours fin de mois (ou 60 jours à compter de la date d’émission de la facture), là où il est encore fréquent de trouver des délais de règlement en France beaucoup plus longs (à 66 jours et plus en moyenne) que dans la plupart des autres pays européens. Les professionnels d’un secteur pourront même, via des accords particuliers, convenir de délais de règlement plus courts (article L.441-6 8ème al. complété). En outre, les pénalités dues, en cas de retard de paiement, ne pourront être inférieures à 3 fois le taux d’intérêt légal (au lieu de 1,5 fois aujourd’hui).

  • Le développement et la libération du commerce
  • L’implantation facilitée de nouvelles enseignes en vue de renforcer la concurrence dans la grande distribution

Annoncé comme la mesure « phare » du projet LME, l’assouplissement des conditions d’implantation des grandes surfaces a été adopté à l’Assemblée, vendredi 13 juin, et les députés ont voté le relèvement du seuil de déclenchement des procédures d’autorisation des hypermarchés ou supermarchés de 300 à 1000 m2. Cette mesure a vocation à faciliter l’implantation d’enseignes, notamment de « hard-discount », dont la surface des magasins ne dépasse pas, en principe, les 500-1000m2. La réforme des règles d’urbanisme commercial portant suppression des lois Royer et Raffarin est reportée à mars 2009.

  • La réforme des soldes

A plusieurs reprises, la réforme du régime des soldes pour optimiser la dynamique commerciale, l’activité économique et le pouvoir d’achat a  avorté. Finalement, le projet LME prévoit, à l’article L.310-3 modifié, que les soldes s’étendront à :

  • deux périodes (en été et en hiver) d’une durée de cinq semaines chacune (alors qu’aux termes de l’article L.310-3 actuel, la durée de ces deux périodes pouvaient s’étendre sur six semaines maximum chacune) ; ces périodes seront fixées par décret et pourront varier, dans leurs dates, suivant les départements « pour tenir compte d’une forte saisonnalité des ventes ou d’opérations commerciales menées dans des régions frontalières ».
  • une période supplémentaire maximale de deux semaines ou deux périodes maximales d’une semaine dont les dates seront librement choisies par le commerçant lequel devra adresser une déclaration préalable au préfet du département du lieu des soldes.

En outre, les commerçants auront la possibilité de réaliser, en cours d’année, des promotions de déstockage, sans encourir – ce qui est important – l’amende de 15.000 euros dont était passible jusque-là toute personne réalisant des soldes en dehors des périodes prévues (article L.310-5 modifié).

  • La création d’une Autorité de concurrence autonome

Ainsi que le suggérait le rapport de la Commission pour la libération de la croissance française (commission « Attali »), le gouvernement a souhaité instaurer une autorité nationale de la concurrence aux pouvoirs étendus et aux moyens accrus en vue de renforcer la régulation concurrentielle des marchés.

Cette Autorité de concurrence se substituera au ministre chargé de l’Economie pour examiner toutes les demandes d’autorisation en matière de concentrations, en effectuer le bilan concurrentiel et les autoriser, sous réserve d’engagements éventuels pris par les entreprises concernées. Le ministre chargé de l’Economie aura toujours la possibilité de s’écarter de la position prise par l’Autorité pour des raisons d’intérêt général dûment motivées.

Cette Autorité exercera par ailleurs les compétences actuelles du Conseil de la concurrence avec des moyens et des pouvoirs élargis et disposera de ses propres enquêteurs.

Le projet LME sera examiné au Sénat à partir du 30 juin pour une adoption définitive prévue d’ici la fin juillet. Seule sa mise en application effective confirmera si cette loi est l’instrument permettant, selon la ministre de l’Economie Christine Lagarde, « de libérer de nouvelles énergies pour peser sur les prix et donner au génie d’entreprendre français un cadre pour mieux s’épanouir ». ll reste à voir, dans la pratique, si cette loi répondra aux attentes ambitieuses du gouvernement en apportant, ainsi  que cela est anticipé, plus de croissance (0,3 point supplémentaire par an à partir de 2009), plus d’emplois (500.000 supplémentaires par an) et plus de pouvoir d’achat (1,6 point de baisse des prix en trois ans).

Publié le 20/08/2015