Menu

Que retenir des nouvelles lignes directrices en matière de contrôle des concentrations (Février 2010)

Que retenir des nouvelles lignes directrices en matière de contrôle des concentrations (Février 2010)

L’Autorité de la concurrence a mis en ligne, le 16 décembre 2009, de nouvelles lignes directrices en matière de concentrations, venant remplacer celles édictées par la Direction Générale de la Concurrence Consommation et Répression des Fraudes (DGCCRF) en 2004 et modifiées en 2007. Ce document très volumineux (165 pages !) vise à clarifier et rendre plus lisible la méthode d’analyse du contrôle des concentrations suivie par l’Autorité de la concurrence pour examiner les opérations notifiées à partir du 1er janvier 2010.

Ce « guide à vocation pédagogique  à destination des entreprises », lequel intègre les modifications instaurées par la loi de Modernisation de l’Economie du 4 août 2008 (dite loi « LME »), est à considérer comme un document de référence (sans avoir pour autant une valeur normative) en ce que désormais « les dossiers de concentration sont traités suivant les modalités procédurales précisées dans les Lignes Directrices de l’Autorité de la concurrence du 16 décembre 2009 relatives au contrôle des opérations de concentration » (article 23 du Règlement intérieur de l’Autorité de la concurrence).

Par ailleurs et afin de garantir un maximum de sécurité juridique aux entreprises, les nouvelles lignes directrices leur sont à la fois opposables et susceptibles d’être invoquées par elles, l’Autorité de la concurrence s’engageant à respecter les principes qu’elles édictent « sous réserve qu’aucune circonstance particulière (…) ou aucune considération d’intérêt général ne justifient qu’il y soit dérogé ».

Compte tenu de leur importance, il convient dès lors de mettre en lumière les principaux apports de ces nouvelles lignes directrices.

1. Champ d’application du contrôle : rappel des notions et nouveautés

1.1 Rappel des principales notions de référence

Aux termes de l’article L.430-1 du Code de commerce, l’opération de concentration peut revêtir trois formes : la fusion d’entreprises antérieurement indépendantes, la prise de contrôle exclusif ou conjoint d’une ou plusieurs entreprises sur une autre, la création d’une entreprise commune.

Aucune nouveauté notable n’est à relever dans les nouvelles lignes directrices en ce qui concerne les notions d’ « entreprise », de  « contrôle », d’ « influence déterminante », d’ « entreprise commune » applicables en matière de contrôle des concentrations. De même, s’agissant de la méthode de calcul des chiffres d’affaires (permettant notamment d’établir si les seuils de notification sont atteints), il est expressément renvoyé à la méthode établie à l’article 5 du Règlement communautaire 139/2004.

(i) La notion d’entreprise : il est notamment rappelé qu’il est essentiel que les entreprises parties à l’opération de concentration soient « antérieurement indépendantes », « une opération pouvant s’avérer n’être qu’une restructuration interne d’un groupe, auquel cas elle ne constitue pas une concentration ». Doivent être considérées comme une opération de concentration tant les « fusions de droit » que « les fusions de fait », l’Autorité de la concurrence prenant en considération toutes les circonstances de droit ou de fait permettant de caractériser l’existence d’une « gestion économique unique et durable » constituant un seul ensemble économique.

(ii) La notion de « contrôle » est définie par l’article L.430-1 III du Code de commerce, comme découlant « des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise ». Aux termes des nouvelles lignes directrices, il est rappelé que le contrôle peut être exclusif ou conjoint, selon que l’entité contrôlante est une ou plusieurs. Là encore, les notions de contrôle exclusif ou conjoint s’apprécient sur la base de toutes circonstances de droit ou de fait et résident essentiellement dans le « pouvoir de contrôle sur les décisions stratégiques de l’entreprise contrôlée ».

(iii) La notion d’  « influence déterminante » d’une entreprise sur une autre se mesure à l’aulne d’un faisceau d’indices constitué notamment de :

  • la détention d’une majorité des droits de vote ou, pour un actionnaire minoritaire, la nature et les modalités d’exercice des droits de vote dont il dispose et qui peuvent conduire à exercer une influence déterminante (ex : droits de véto, droits de préemption ou de préférence etc… dans le contexte éventuel de l’éparpillement de l’actionnariat) ;
  • les relations contractuelles : les conventions de location-gérance sont susceptibles de caractériser une influence déterminante ;
  • autres éléments d’appréciation reposant sur les liens économiques existants : par exemple, l’existence de contrats de livraison à long terme avec l’entité cible, de contrats commerciaux exclusifs, le fait de représenter une part très élevée du chiffre d’affaires de l’entreprise cible…

(iv)  La notion d’ « entreprise commune » : doit être considérée comme une opération de concentration, la constitution d’une « entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome » et disposant pour ce faire « de tous les éléments structurels nécessaires au fonctionnement des sociétés autonomes (ressources humaines, budget, responsabilité commerciale) ».

1.2 Nouveautés issues des Lignes Directrices

(i) Les nouvelles notions : opérations interdépendantes et opérations transitoires

  • les opérations interdépendantes : dès lors que plusieurs opérations d’acquisition sont interdépendantes, elles peuvent être notifiées en une seule fois ce qui simplifie substantiellement les obligations à la charge des entreprises notifiantes. Ces opérations seront examinées comme une seule et même concentration dès lors que (i) les accords sont liés par une conditionnalité réciproque (ce qui se caractérise souvent par le fait que les accords doivent être conclus simultanément) et (ii) que le contrôle de chaque cible, objet de l’opération, est acquis par la ou les mêmes entreprises.
  • les opérations transitoires : seules doivent être considérées comme des opérations de concentration celles entraînant « un changement durable de contrôle » ce qui exclut notamment les opérations dans le cadre desquelles « des établissements de crédits, d’autres établissements financiers ou des sociétés d’assurances, dont l’activité normale inclut la transaction et la négociation de titres pour compte propre ou pour compte d’autrui, détiennent, à titre temporaire, des participations qu’ils ont acquises dans une entreprise en vue de leur revente, pour autant qu’ils n’exercent pas les droits de vote attachés à ces participations (…) »
    Seront considérées comme des opérations transitoires ne devant pas être notifiées à l’Autorité de la concurrence les opérations dont le caractère transitoire a été arrêté par les parties de manière « juridiquement contraignante » (accords) et dans le cadre desquelles les participations et actifs acquis vont, à l’évidence, être revendus très rapidement (les lignes directrices omettant néanmoins de préciser le délai dans lequel cette revente doit intervenir).
  • Les restrictions accessoires : les précédentes lignes directrices faisaient l’impasse sur cette notion qui fait l’objet d’une communication de la Commission européenne. Les nouvelles lignes directrices précisent que l’Autorité de la concurrence analysera, à la lumière de la communication de la Commission et au cas par cas, si les restrictions accessoires doivent être « couvertes » par l’autorisation donnée pour l’opération de concentration ; pour rappel en effet, les restrictions accessoires s’entendent des restrictions contenues dans les accords entre les parties à une opération (clause de non-concurrence post contractuelle, accords d’approvisionnement exclusifs etc….) qui sont « couvertes » par la décision d’autorisation si « elles sont strictement nécessaires » à l’opération de concentration. Si ces restrictions n’apparaissent pas nécessaires, elles seront analysées sous l’angle des pratiques anticoncurrentielles (article L.420-1 du Code de commerce).

(ii) Extension du champ d’application du contrôle : l’abaissement des seuils

Pour rappel, une opération de concentration est soumise au contrôle national des concentrations et doit donc être notifiée si les trois conditions cumulatives suivantes sont réunies : (i) l’opération n’est pas de dimension communautaire, (ii) le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 millions d’euros et si (iii) le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 50 millions d’euros.

Pour tenir compte des modifications apportées par la LME, les nouvelles lignes directrices prévoient un abaissement des seuils précités dans le secteur du commerce de détail et dans les départements et collectivités d’outre-mer.

  • Secteur du commerce de détail : en pratique, il a été relevé à plusieurs reprises que certaines opérations de concentration dans ce secteur pouvaient, sans atteindre les seuils précités, conférer une part de marché importante au niveau local « dans certaines zones de chalandise »

Définition du « commerce de détail » : L’Autorité de la concurrence précise, dans ses lignes directrices, sa définition du « commerce de détail par référence aux règles applicables en matière d’équipement commercial » en excluant certaines activités :

Ainsi, «un magasin de commerce de détail s’entend comme un magasin qui effectue essentiellement, c’est-à-dire pour plus de la moitié de son chiffre d’affaires, de la vente de marchandises à des consommateurs pour un usage domestique. Est incluse la vente d’objets d’occasion (brocante, dépôts vente, etc…). Sont traditionnellement assimilés à du commerce de détail, bien que ne constituant pas de la vente de marchandises, un certain nombre de prestations de service à caractère artisanal (pressing, coiffure et esthétique, cordonnerie, photographie, entretien véhicules et montage de pneus). Sont toujours exclues les prestations de service à caractère immatériel ou intellectuel (comme les banques, l’assurance, ou les agences de voyage) ainsi que les établissements de service ou de location de matériel (comme les laveries automatiques ou les vidéothèques), et les restaurants. Sont aussi exclues les entreprises qui réalisent la totalité de leurs ventes en ligne, l’article L. 430-2-II précisant que ne sont concernées que les entreprises qui exploitent au moins un magasin ».

Cette définition qui se veut exhaustive laisse planer certaines zones d’ombre : qu’en est-il des prestations de service à caractère artisanal non visées dans la définition ? N’existe-t-il pas un risque de discrimination entre les réseaux de distribution (incluant des points de vente physiques et des boutiques en ligne) et les « pure players » actifs uniquement sur Internet, ces derniers n’étant donc pas concernés par les seuils abaissés (du fait de leur exclusion du commerce de détail ainsi défini) ?

Seuils de notification abaissés : Doivent être notifiées les opérations de concentrations intervenant entre des entreprises du commerce de détail lorsque : « (i) les entreprises concernées par cette concentration réalisent ensemble sur le plan mondial un chiffre d’affaires supérieur à 75 millions d’euros [au lieu de 150] et (ii) deux au moins de ces entreprises réalisent, dans au moins un des départements ou collectivités territoriales concernés, un chiffre d’affaires supérieur à 15 millions d’euros [au lieu de 50] ».

  • Les départements et collectivités d’outre-mer (DOM-COM) : lorsqu’au moins une des parties à la concentration exerce tout ou partie de son activité dans un ou plusieurs DOM ou COM, l’opération doit être notifiée à l’Autorité de la concurrence si : (i) le chiffre d’affaires total mondial hors taxe de l’ensemble des entreprises ou groupe de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 millions d’euros et (ii) le chiffre d’affaires total hors taxe réalisé individuellement dans un au moins des DOM ou COM par deux au moins des entreprises concernées est supérieur à 15 millions d’euros.

Il doit être précisé que le seuil des 15 millions d’euros doit être réalisé par chacune des entreprises concernées dans le même DOM ou COM.

2. Transfert de compétence du contrôle des concentrations à l’Autorité de la concurrence

Il s’agit de la plus grande innovation procédurale introduite par la LME et désormais consacrée dans les nouvelles lignes directrices. Pour mémoire, la LME a transféré à l’Autorité de la concurrence les compétences autrefois dévolues au Ministre de l’Economie, ce dernier ne conservant qu’un pouvoir de contrôle résiduel sur les opérations (« pouvoir d’évocation ») pour des considérations d’intérêt général autres que la concurrence (développement industriel, maintien de l’emploi…).

Cette innovation a deux mérites principaux :

  • soustraire à une entité éminemment politique la décision d’autorisation d’une opération, cette décision appartenant désormais à l’Autorité de la concurrence laquelle est une autorité administrative indépendante ;
  • raccourcir les délais d’examen : jusque-là, dès qu’une opération exigeait – selon le Ministre – l’avis de l’autorité de concurrence, une navette s’instaurait entre les deux instances ce qui prolongeait d’autant les délais d’examen et retardait la prise de décision finale ; désormais, l’Autorité de la concurrence étant seule en charge, un temps précieux devrait être gagné : en principe, la décision d’autorisation sera prise (i) dans un délai de 25 jours ouvrés à compter de la réception de la notification complète, si le dossier autorise une analyse concurrentielle rapide ou (ii) dans un délai de 65 jours ouvrés à compter de la réception de la notification complète à l’issue d’une analyse concurrentielle plus poussée si le dossier le requiert.

3. Les efforts de clarification/ simplification

3.1 Le dossier de notification simplifié

Les types d’opérations pouvant faire l’objet d’un dépôt de dossier de notification simplifié sont énumérés dans les lignes directrices comme étant :

(i) Les concentrations pour lesquelles aucun marché n’est affecté ;

(ii) Les concentrations impliquant des entreprises qui réalisent un nombre important d’opérations contrôlables par an (ex : fonds d’investissement) ;

(iii) Les concentrations réalisées dans le secteur du commerce de détail et entrant dans les nouveaux seuils de contrôle tels qu’abaissés par la LME ;

(iv) Les concentrations dans lesquelles le ou les acquéreurs n’opèrent sur aucun marché commun avec la cible : ni le marché de la cible, ni un marché amont ou aval ou connexe.

3.2 La lettre de confort

Les lignes directrices introduisent la possibilité pour les entreprises d’obtenir une lettre de confort si ces dernières veulent avoir confirmation, lors de la phase de pré-notification, que les opérations auxquelles elles se livrent ne sont pas contrôlables au regard du droit des concentrations.

3.3 les nouvelles annexes

Les nouvelles lignes directrices intègrent des annexes plus claires et plus didactiques dont (i) une annexe relative à la soumission d’études économiques dans le cadre des dossiers de notification, (ii) une annexe relative aux coopératives agricoles afin de clarifier les règles de calcul de chiffre d’affaires les concernant et (iii) une annexe traitant des fonds d’investissement.

Si les nouvelles lignes directrices répondent en partie à l’impératif de transparence et au besoin de clarification souhaités par les entreprises et leurs conseils, certaines zones d’ombre demeurent et, de manière générale, ce texte reste difficilement accessible pour les néophytes. L’Autorité de la concurrence reconnaît néanmoins – et on doit saluer en cela son approche pragmatique – que ce nouveau guide évoluera très certainement en ce qu’il est « susceptible d’être mis à jour, au fur et à mesure de la pratique décisionnelle de l’Autorité ».

Publié le 20/08/2015